- La différence entre massage thérapeutique et non thérapeutique est confortée par un arrêt de la Cour de Cassation (3 juin 1980), confirmant l’arrêt de la Cour d’appel de Metz (13 juin 1979) : (Bull. crim. 1980, n° 171, p.433) « (…) Attendu que pour relaxer X des fins de la poursuite et débouter la partie civile de sa demande, la Cour d’appel relève qu’un simple effleurage portant, comme en l’espèce, seulement sur la peau du visage, ne saurait être considérée comme une technique de massage (…) » La cour de cassation ajoutant : « Attendu qu’en l’état de ces énonciations, exemptes d’insuffisance et de contradiction, souverainement déduites de l’appréciation des éléments de preuve soumis aux débats contradictoires et d’où il résulte que la prévenue s’est bornée à effectuer sur le visage des actes qui, par leur caractère superficiel et leur objet purement esthétique, ne sauraient être assimilés aux massages, dont la pratique est réservée aux seuls titulaires du diplôme de masseur-kinésithérapeute, tel qu’il est prévu par l’article L 488 du Code de la santé publique, la Cour d’appel a justifié sa décision (…) »
- Le tribunal de Grande instance de Brive-la Gaillarde, en date du 21 décembre 1989, juge que « n’est pas coupable d’exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute, la prévenue qui, non titulaire du diplôme de masseur-kinésithérapeute, effectue simplement des massages à ses clients et ne leur fait pas des mouvements de gymnastique médicales ».
- Le tribunal de Grande instance de Bordeaux, dans un jugement du 23 mars 1988 (n°896189), a procédé à la relaxe et a rejeté la constitution de partie civile du syndicat des masseurs-kinésithérapeutes. La cour d’appel de Bordeaux, le 04 octobre 1989 (3e chambre correctionnelle, n° 1075) est venu confirmer, de la sorte :« Dès lors qu’il ressort des termes de l’enquête que le prévenu, professeur d’éducation physique, n’effectuait ni massage ni gymnastique à but thérapeutique, il doit être relaxé (…) la preuve n’étant pas rapportée d’un empiétement sur le domaine des masseurs-kinésithérapeutes. »
- Un « attendu » du tribunal de Grande Instance de Niort, du 7 juillet 2005 : « (…) Attendu qu’au vu des prescriptions légales et réglementaires (…) il n’est pas déraisonnable de soutenir que les masseurs-kinésithérapeutes se voient réserver le massage thérapeutique ou non thérapeutique destiné à prévenir l’altération des capacités fonctionnelles, à concourir à leur maintien et/ou à les rétablir lorsqu’elles sont altérées, mais qu’à l’inverse, il n’est pas interdit à d’autres praticiens de se livrer à des massages ne poursuivant pas ce but (…), en particulier de ceux dont la vocation n’est pas d’agir sur les capacités fonctionnelles des clients, mais de leur apporter u mieux-être physique ou esthétique (…) »
Le Toucher Massage et le Droit par Isabelle Robard
« Je travaille dans le domaine des libertés thérapeutiques depuis maintenant quinze ans. Je fais de la recherche au niveau français et au niveau européen pour faire avancer les lois, non seulement dans le domaine du massage, mais dans d’autres domaines de la santé qui me tiennent à cœur, notamment le dossier sur les ostéopathes. J’ai revêtu la casquette d’avocat après un cursus universitaire qui m’amène à être également chargée de cours en faculté de droit et de médecine, où j’enseigne le droit de la santé et le droit pharmaceutique. Lorsque j’ai rencontré Joël Savatofski en 1999, c’est vrai, je n’en croyais pas trop mes oreilles. A partir de ce moment-là, j’ai subodoré qu’il y aurait de plus en plus de problèmes dans l’art du toucher. Mais je ne savais pas que cela prendrait une telle importance, et que cela revêtirait des aspects juridiques aussi passionnants.
Que ce soit à titre préventif ou à titre curatif, le massage est un art qui appartient au patrimoine de l’humanité. Il relève d’ailleurs de façon plus sensible et évidente des sociétés orientales, par exemple en Inde avec le massage ayurvédique, en Chine avec le Tuina massage, ou encore au Japon avec le do-in. Aujourd’hui dans nos sociétés occidentales, à une époque où beaucoup de problèmes sociaux-économiques de valeur et de positionnement de l’individu dans la société se posent, nous semblons découvrir que l’on a une peau, que l’on peut se toucher, que cela peut peut-être servir à se soigner, à communiquer, à se déstresser, à se désangoisser, à être mieux dans sa peau. Ainsi, le problème est beaucoup plus important qu’il n’en donne à priori l’impression. Cet art du toucher est un problème très subtil qui amène à repositionner l’Homme dans sa dimension par rapport aux autres, mais aussi par rapport au monde, tout simplement. Mais ce n’est pas sans grincements de dents que les pays occidentaux, et notamment la France, redécouvrent cet art du massage.
En France, il y aurait paraît-il un monopole du massage et de l’art du toucher… Je vais aborder ce sujet en trois temps: d’abord la dimension du massage au niveau des textes européens et internationaux. Ensuite la problématique de la loi sur les droits des malades. Enfin, je ferai le point sur ce que disent les textes et sur l’évolution de la jurisprudence. »
Les textes internationaux
Le massage est une technique de détente et de bien-être, qui doit être replacée dans un contexte plus vaste, qui a trait davantage au développement d’un retour à la nature, d’une médecine plus naturelle, moins iatrogène (médecine iatrogène que Ivan Illitch avait d’ailleurs dénoncée en 1975 dans son ouvrage « Nemesis médicale »). On s’aperçoit aujourd’hui que la clé des problèmes de santé, la clé des maladies ne réside pas forcément dans des interventions forcément lourdes. On parle même de toutes les conséquences qu’il peut y avoir dans le domaine chirurgical, de l’utilisation intempestive des antibiotiques, etc. Ce phénomène est lié à une montée du phénomène des médecines non conventionnelles: c’est le terme officiel qui est utilisé depuis 1997 par le Parlement Européen et par d’autres institutions européennes et internationales.
Parallèlement à cela, il y a une montée en puissance des droits des patients. D’ailleurs, ce terme de « patients » ne me plaît pas. Parce que « patient » veut dire qu’on est un peu inerte par rapport à l’accompagnateur de santé qui reste le soignant, alors que nous sommes d’abord des citoyens avant d’être des gens malades ou bien portants, et que nous aspirons tous à une relation d’égalité et d’intervention active dans le domaine de la santé ou de la maladie. Ce phénomène s’est enregistré tout au long des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, avec des textes qui sont intervenus aux niveaux européens ou internationaux et qui réaffirment les droits des patients. Quant à moi, je dirais plutôt « droits des usagers », « droits de la personne ».
L’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) n’a pas réduit la santé à l’absence de maladie puisqu’elle la définit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ». Et elle précise qu’elle ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Nous sommes ici en plein cœur du sujet : donc, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, c’est aussi le bien-être, c’est aussi être mieux dans sa peau. Il n’est pas étonnant que l’O.M.S., dont la célèbre déclaration affirmait le « droit à la santé pour tous » en l’an 2000, ait cette définition-là de la santé, parce que très tôt, elle s’est inscrite dans un mouvement de développement des soins de santé primaires, en développant la prévention primaire, et non le dépistage. La prévention primaire a pour vocation d’empêcher l’apparition d’une maladie, tandis qu’en matière de dépistage on est déjà dans une prévention secondaire: quand on dépiste une tumeur au sein, même si on la dépiste à son tout début, on n’est plus dans une prévention primaire, on est déjà dans une prévention secondaire.
L’O.M.S a référencé un certain nombre de pratiques dites « non conventionnelles de santé » dont par exemple le shiatsu. Ce qui est intéressant de voir aussi, c’est que l’être humain ne se coupe pas, ne se sépare pas de son environnement, et le sommet de Rio en 1992 l’avait bien perçu, puisque voilà les principes qui avaient été retenus : « La santé dépend en dernière analyse de la capacité de gérer de façon satisfaisante l’interaction entre le cadre de vie et l’environnement spirituel, biologique, économique et social », ajoutant qu’il est nécessaire « d’intégrer les connaissances et expériences traditionnelles dans les systèmes sanitaires nationaux, selon que de besoin « .Cet appel à l’intégration dans les systèmes de santé nationaux se retrouve dans un rapport sur la politique de santé 2002-2005, où l’O.M.S. réclame, et c’est nouveau, l’intégration dans les systèmes de santé, y compris des pays développés, d’une approche naturelle de la santé, des soins dits ancestraux. Cela peut être la phytothérapie, l’acupuncture, mais aussi les techniques de toucher. Cette demande que les approches ancestrales de santé soient intégrées dans les pays dits riches est plutôt révolutionnaire. Car on dit souvent que les médecines « dites traditionnelles » (c’est le terme de l’O.M.S.) ne concernent que les pays en voie de développement, qui n’ont pas d’argent pour se soigner de façon moderne. C’est oublier qu’aujourd’hui les pays occidentaux sont face à la démonstration de leur faillite, et qu’il se pourrait fort bien – et on y est déjà – que ce soit l’Orient qui montre l’exemple à l’Occident. Il va y avoir au fur et à mesure une inversion des systèmes, il va y avoir beaucoup de leçons à tirer dans ce domaine-là. Un autre système de valeurs est à reconstruire, où l’Homme reprend le pas sur les intérêts à court terme, économiques et de rentabilité.
Enfin, pour en finir avec l’aspect européen, il faut noter la déclaration sur la promotion des droits des patients en Europe, adoptée en 1994, et qui indique que « chacun a le droit de recevoir les soins correspondant à ses besoins y compris les mesures préventives et les activités de promotion de la santé ». On ne parle pas de maladie, on ne parle pas de traitement, on parle de promotion de la santé: en fait, c’est là que l’art du toucher prend toute sa place.