Lorsque l’on lit cette loi de 2002, on y voit également un chapitre qui concerne la démocratie sanitaire. Démocratie sanitaire, c’est l’expression que j’utilisais il y a plus de dix ans. On me regardait alors avec un œil interrogatif. De le voir aujourd’hui inscrit dans un texte veut dire que quelque part les choses ont quand même avancé. Il y a également un chapitre sur la prévention, qui indique que la prévention primaire est un véritable enjeu de santé publique. Cela aussi c’est nouveau, car jusqu’ici, quand on parlait de prévention, c’était surtout lié à l’alcool et au tabac. Ce qui est très bien d’ailleurs, il y a beaucoup à faire dans ces domaines, ou dans d’autres comme les accidents de la circulation. Mais c’est largement insuffisant, et la loi sur les droits des malades l’a compris. Elle a voulu aller plus loin en insistant sur la notion de prévention primaire, c’est-à-dire celle qui a vocation d’empêcher l’apparition de la maladie, liée aux conditions de vie. Par quels moyens, pourquoi ?: « en vue de réduire les risques éventuels pour la santé liés aux multiples facteurs susceptibles de l’altérer, c‘est à dire l’environnement, le travail, les transports, l’alimentation etc… »
L’art du toucher ne fait que rentrer dans ce cadre-là, un cadre d’ailleurs dont ses promoteurs étaient des précurseurs. Aujourd’hui, on a l’air de les découvrir, alors qu’en fait ils étaient là depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui il va falloir les écouter et les entendre, parce que parler de prévention c’est bien, mais si ce concept reste une coquille vide dans laquelle on ne met rien, cela ne servira pas à améliorer l’état de bien-être de nos concitoyens.
L’évolution positive de la jurisprudence
Qu’en est-il de l’exercice illégal de la masso-kinésithérapie? Certains en France -parce que tous ne pensent pas de la même façon, il faut bien se garder de faire des amalgames- pensent que la profession de masseur-kinésithérapeute détient le monopole du massage, voire même du toucher.
Il faut savoir qu’historiquement, c’est une loi d’avril 1946 qui a réunifié les professions de kinésithérapeute et celle de masseur. Mais masseur dans le sens masseur médical, et uniquement cela. Et la loi qui est appliquée aujourd’hui, c’est toujours la loi issue de 1946. Donc l’esprit du législateur a été de créer une profession de masseur-kinésithérapeute dans une acception para-médicale ou médicale.
Le massage a été défini par un décret du 26 août 1985. Ce décret de 1985 a été réactualisé par un décret du 8 octobre 1996 où on a ajouté au champ de compétence des masseurs-kinésithérapeutes le drainage lymphatique et où on a redéfini le massage en rajoutant :« on entend par massage toute manœuvre externe, réalisée sur les tissus dans un but thérapeutique ou non ».Ce « ou non ” est venu semer une confusion supplémentaire, parce que même avant le « ou non » il y avait déjà des poursuites, qui sont régulièrement montées jusqu’en Cour de cassation, le domaine le plus concerné étant celui des esthéticiennes.
Donc on n’a pas attendu le décret de 1996 pour revendiquer, y compris dans le domaine de l’esthétique, un monopole qui, la plupart du temps, venait de certains lieux, de certaines structures de masseurs-kinésithérapeutes. Mais, on a oublié de voir qu’à côté de la définition du massage, il y a la définition du « monopole », la définition du contenu même de la masso-kinésithérapie: en quoi consiste-t-elle ? De quoi parle-t-on ?
Voici ce que dit le décret :« la masso- kinésithérapie consiste en des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation qui ont pour but de prévenir l’altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et lorsqu’elles sont altérées, de les rétablir ou d’y suppléer ». Nous sommes bien dans la notion de capacité fonctionnelle et rien d’autre. Or, en faculté de droit on apprend dès la première année qu’un article de loi ne s’interprète jamais seul, mais toujours en fonction de ceux qui l’entourent. Il y a donc d’un côté la définition du massage, de l’autre la définition de la masso-kinésithérapie. Il ne reste plus qu’à faire un pont entre les deux, c’est à dire que le monopole ne se superpose pas à la définition du massage. C’est avant 1996 qu’il était incohérent de dire que le massage avait une visée uniquement thérapeutique. En effet, il est évident que par définition le massage n’a pas uniquement une vocation thérapeutique.
Pour autant, cela donne lieu à des interprétations on ne peut plus fantaisistes de la part d’une petite frange de kinésithérapeutes, aboutissant à des extrêmes: au cours de l’instruction d’une affaire, je me suis entendue dire que le simple fait de poser la main sur une autre main constituait déjà l’infraction d’exercice illégal! Je n’ai pourtant pas rêvé. Donc, il faut être un peu sérieux. En fait, c’est l’objectif poursuivi qui va faire qu’on entre ou non dans le monopole : objectif paramédical, objectif thérapeutique. Le monopole du masseur-kinésithérapeute est clair, net et précis à ce niveau. Mais dès lors que l’on entre dans le domaine de l’esthétique, du bien-être, du confort, du « destressage », de la communication, on n’est plus dans le domaine paramédical et encore moins médical. Et cela, ce n’est pas une vue de l’esprit puisqu’il y a des tribunaux qui l’ont jugé. Notamment dans une affaire à la Cour d’Appel de Bordeaux en 1989, concernant un professeur d’éducation physique qui massait ses élèves après ou avant pour les préparer à l’effort, et qui s’est retrouvé en correctionnelle. La Cour a jugé que ce professeur « n’effectuait ni massages, ni gymnastique à but thérapeutique, qu’il doit donc être relaxé, la preuve n’étant pas portée d’un empiètement sur le domaine des kinésithérapeutes ». Concernant les esthéticiennes, il y a eu également un arrêt de la Cour de Cassation en 1980 qui a jugé que « ne constitue pas un massage dont la pratique est réservée aux masseurs-kinésithérapeutes le fait pour une esthéticienne-cosméticienne d’effectuer sur le visage de ses clientes des actes se ramenant à un simple effleurage superficiel ». Si l’esthéticienne est en infraction, elle n’a même pas besoin de faire des massages sur le corps pour fermer sa boutique ou son institut, puisqu’à chaque fois qu’elle utilise une crème, qu’elle l’applique sur le visage, elle est déjà en infraction. Ou alors il va falloir qu’elle travaille uniquement avec des pinceaux !
Puis il y a eu une affaire qui a défrayé la chronique, puisque c’était la première du genre. Il s’agissait de se détendre en position assise, tout habillé, et d’apprendre à faire de la prévention sur les aires autoroutières. Eh bien en janvier 2003, le Tribunal de Grande Instance de Chalon-sur-Saône nous a donné raison de la façon la plus exemplaire. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’Appel de Dijon en septembre 2003 de la façon suivante : « attendu que la Cour ne peut qu’adopter la motivation des premiers juges pour considérer que les effleurages, touchers de façon légère qui ont été pratiqués par les prévenus pour détendre les usagers sur les aires de repos de l’autoroute ..X… ne font pas partie du monopole des susvisés ». Point à la ligne. Les kinésithérapeutes ont engagé un pourvoi en cassation, mais la Cour de cassation a donné raison à la Cour d’Appel de Dijon.
J’étais récemment confrontée à la défense d’esthéticiennes, et le tribunal correctionnel de Versailles nous a donné raison. Et plusieurs affaires, qui en étaient restées au niveau de l’instruction, ont été classées sans suite avec un non-lieu.
En conclusion
Il est clair que plus on exagère de façon démesurée le monopole des kinésithérapeutes, plus on perd en crédibilité. La profession de masseur-kinsithérapeute détient le monopole dans le champ thérapeutique. A partir du moment où l’objectif n’est plus paramédical ou médical, soutenir que le monopole existe encore à ce stade aboutit, dans le cadre d’une conception restrictive, à mettre en infraction des milliers de personnes : les personnes qui pratiquent les arts martiaux ou le yoga, celles qui invitent à se masser avant ou après les cours, les coiffeurs qui font des massages du cuir chevelu, les podologues (qui ont quand même le droit de masser les pieds, c’est même codifié à la sécurité sociale), les psychothérapeutes de tous horizons qui font souvent faire des exercices respiratoires accompagnés de massages dans le but de lever des blocages, les professeurs de sport, les entraîneurs et les soigneurs. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle les soigneurs des cyclistes de haut niveau sont inquiétés parce que le Ministère de la Jeunesse et des Sports veut leur retirer le droit de masser. Ce qui est tout à fait inadmissible, puisque c’est d’abord une manière de communiquer: le cycliste après la course a besoin de parler et en même temps de se faire toucher, de se détendre grâce à un geste qui ne soit pas mécanique, qui n’est pas codifié comme un geste de masseur-kinésithérapeute. Enfin, sont en infraction les mères de famille qui massent leurs enfants, les aides-soignantes, les infirmières…
Que faut-il déduire de tout cela ? Qu’il faut sauvegarder le monopole de la masso-kinésithérapie dans le cadre qui est le sien. Il va donc falloir redistribuer les rôles de chacun selon les règles du bon sens et du respect du droit, qui sont très probantes aujourd’hui. Le Conseil Economique et Social a fait un rapport sur la prévention en matière de santé. Auditionnée sur ces questions, j’avais parlé justement du massage, sujet d’actualité. Il ne s’agit plus seulement du système de santé, de soin, de lutte contre la maladie, il s’agit de mettre en place une vraie politique de santé, de produire une réflexion pleine et entière autour de la prévention primaire et du développement des techniques de bien-être. C’est un enjeu non seulement pour les usagers de ces méthodes et donc pour le grand public, mais aussi et surtout pour les pouvoirs publics.
Ce texte a été reproduit avec l’aimable autorisation de Isabelle Robard et Joël Savatofski. Toute reproduction totale ou partielle du présent article de Maître Robard est strictement interdite, portant violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions pénales.
SOURCES
FFMBE
Article recueilli sur le site : www.kine-services.com
LE CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
Autrefois l’article L 487 nous conférait le MONOPOLE du MASSAGE à visée thérapeutique ou non thérapeutique puisque « nul ne peut (le) pratiquer …. ».
Depuis, depuis l’ordonnance N° 2000-548 du 15 juin 2000 le Code de la Santé Publique est modifié comme suit:
- Art. L 4321.1 – La profession de masseur-kinésithérapeute consiste à pratiquer habituellement le massage et la gymnastique médicale. La définition du massage et de la gymnastique médicale est précisée par un décret en Conseil d’État, après avis de l’Académie nationale de médecine. Lorsqu’ils agissent dans un but thérapeutique, les masseurs-kinésithérapeutes ne peuvent pratiquer leur art que sur ordonnance médicale. L’ État a transformé la notion d’exercice illégal en le rendant très difficile à prouver. Seule l’ usurpation de titre reste facile à réprimer. Autrement dit, le massage non médical n’est plus protégé et seul le titre de masseur-kinésithérapeute l’est.
L’article continue ainsi : Heureusement, le Conseil d’Etat a été saisi et a déclaré le 29/12/2000 que la modification s’est faite à droit constant. Donc, rien de changé et nul ne peut pratiquer le massage s’il n’est titulaire du D.E. de masseur kinésithérapeute.
Cette interprétation de la décision du conseil d’Etat est très personnelle aux auteurs de cet article. Car le Conseil d’Etat n’annule en rien l’ordonnance 2000-548 ==> extrait de la décision du conseil d’Etat : Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le SYNDICAT NATIONAL DES MASSEURS-KINESITHERAPEUTES REEDUCATEURS n’est pas fondé à demander l’annulation des dispositions de l’ordonnance du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de la santé publique définissant la profession de masseur kinésithérapeute…